Rater les cours parce qu’on a ses règles, fléau de la précarité dans les lycées d’Ile-de-France

Article de Maïram Guissé (avec Charlotte Robinet), paru dans Le Parisien le 17 septembre 2020.

Des milliers de jeunes femmes n’ont pas de quoi se payer des tampons ou des serviettes. Pour lutter contre cette inégalité, 31 lycées en Ile-de-France proposeront gratuitement des protections à leurs élèves.

« Parfois, j’ai peur que ça coule trop et que ça se voit alors je ne vais pas en cours. » Lyndsay* a 15 ans. Tous les mois, quand cette longiligne élève de seconde, rencontrée devant le lycée Edmond-Rostand de Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), a ses règles, les mêmes peurs reviennent. Désormais, elle ne se posera plus la question. Son établissement scolaire a été récemment équipé d’un distributeur gratuit de protections hygiéniques bio. « Regardez, sourit-elle tout en ouvrant une poche de son sac noir dans lequel une petite dizaine de tampons sont rangés, je me suis justement servi ce matin (lundi, NDLR), aux toilettes. » Lindya l’assure : « Je ne raterai plus les cours à cause de mes règles ».

Au total, 31 lycées franciliens, choisis en fonction du pourcentage de filles et de boursiers, dont nous dévoilons la liste**, sur les 465 dont la région est en charge vont être dotés de ces distributeurs d’ici la fin des vacances de la Toussaint. En tout ce sont près de 13 500 jeunes filles qui sont visées par l’expérimentation de la région.

Objectif de cette mesure expérimentale dont le coût s’élève à 100 000 euros : « Lutter contre la précarité menstruelle », explique Valérie Pécresse, présidente (Libres !). « Dans le milieu scolaire, il apparaît que 6 % des jeunes filles (et jusqu’à 12 % dans les milieux les plus précaires) auraient déjà manqué les cours car elles n’avaient pu se procurer de protections », selon un document de la région remis aux élus en septembre.

Cet absentéisme, couplé à une problématique de santé liée « selon les témoignages que j’ai recueillis aux protections de fortune que certaines lycéennes fabriquent par manque de moyens m’ont conduite à expérimenter cette mesure », insiste Valérie Pécresse. « D’autant qu’en Ile-de-France, la crise du Covid a entraîné une montée de la pauvreté et de la précarité. » « Alors qu’en 2019, 1,7 million de femmes en France souffraient de précarité menstruelle, aujourd’hui avec la crise sanitaire que nous traversons, on dépasse les 2 millions », détaille Tara Heuzé-Sarmini, la directrice générale de l’association Règles élémentaires, qui lutte contre la précarité menstruelle.

A Paris, dès l’année dernière, Alexandra Cordebard, la maire socialiste du Xe, avait lancé l’initiative en installant des distributeurs de protections hygiéniques gratuites dans cinq collèges de son arrondissement. Un dispositif que la Ville a décidé de développer : l’installation « va être étendue en 2021 à d’autres collèges d’autres arrondissements en priorisant ceux présentant les indicateurs socio-économiques les plus défavorables », indique l’adjoint de la maire en charge de l’éducation, Patrick Bloche.

Aborder sans tabou la question des règles dans l’environnement scolaire

Au lycée Blaise-Pascal de Villemomble, en Seine-Saint-Denis, le distributeur est installé dans le couloir à la vue de tous au premier étage près de l’infirmerie. « C’est délibéré, les règles ce n’est pas sale », insiste la proviseure Evelyne Delfrau, pour tordre le cou aux idées reçues. « La question de la précarité menstruelle est en effet occultée car elle concentre un double sentiment de honte : celui associé aux règles et celui associé à la pauvreté », déplorait Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin dans un rapport sur le sujet, publié en octobre 2019.

Pourtant, tous les mois, des jeunes filles doivent composer avec cette période. En moyenne, selon ce même rapport, « les règles arrivent 450 fois dans la vie d’une femme, durant trois à cinq jours, soit l’équivalent de sept à huit années ». « Une femme utilise plus de 10 000 protections périodiques à usage unique dans sa vie. » Financièrement, cela représente un coût. « Nous l’avons estimé en moyenne à 4 000 euros dans une vie », détaille Tara Heuzé-Sarmini.

Des situations qui mènent parfois à des hospitalisations

Mouni et Aminata, en 1re au lycée Blaise-Pascal, 17 ans, elles, n’ont pas à y réfléchir. « Nos mères nous achètent le nécessaire. Mais ce distributeur, c’est une super idée, ça va aider les filles qui n’ont pas les moyens. Nous, on n’a pas ce problème, mais si on a des fuites, ça sera pratique.

Dans ce lycée, composée à « 90 % de filles », précise Évelyne Delfrau, la précarité menstruelle faisait, avant même le dispositif de la région, l’objet d’un travail avec les élèves dits éco-délégués. « C’est un sujet qui les soucie. On a beaucoup de boursières et des élèves en difficulté qui n’ont pas de quoi se protéger et donc ne viennent pas en cours, précise Evelyne Delfrau. D’autres viennent au lycée avec du papier en guise de protection et là c’est la catastrophe. » Lindsay de Saint-Ouen-l’Aumône concède le faire parfois. « Ça m’est arrivé pour dépanner. »

La sénatrice (LREM) du Haut-Rhin, Patricia Schillinger, relève ainsi qu’il « est fréquent que ces publics déjà en grande difficulté doivent être hospitalisés en raison de complications sanitaires causées par ces pratiques risquées ».

Régulièrement sollicitées, les infirmières en ont bien conscience. « Cela a des répercussions sur les jeunes. Quand une gamine vient très souvent, on se pose la question de la situation financière. On travaille sur sa situation avec l’assistante sociale. Ces distributeurs sont une bonne chose mais ils ne suffisent pas, il faut un accompagnement », prévient Carole Pourvendier, secrétaire du syndicat Snuics-Fsu.

«Je connais des filles qui gardent leur protection toute la journée»

A Sarcelles (Val-d’Oise), au lycée Jean-Jacques-Rousseau, Hajar, 19 ans, en Terminale, avait pensé à la mise en place d’un bac de serviettes et tampons dans les toilettes. « Parce que tout le temps on me demande des serviettes. Je connais des filles qui gardent leur protection toute la journée soit parce qu’elles n’utilisent pas les toilettes ou parce qu’elles n’ont pas les moyens. »

Un sondage Ifop réalisé en 2019 pour Dons solidaires révélait qu’« une femme sur dix renonce ainsi à changer de protections périodiques aussi souvent que nécessaire par manque d’argent ». Hajar espère que son lycée comptera bientôt un distributeur « parce qu’au moins on est sûre de la qualité », réagit-elle.

Que cette mesure soit étendue à tous les établissements d’Ile-de-France, c’est aussi une demande de Muriel Guenoux, conseillère régionale (PRG). En juillet 2017, elle est la première à la région à évoquer ce sujet et à proposer la mise en place de distributeur dans des lieux publics, sans succès. « On se faisait renvoyer dans le fond de la cour », pointe-elle. Aujourd’hui, elle salue la mise en place de ce dispositif mais déplore « qu’elle ne soit pas généralisée à tous les lycées, dans les transports en commun, pour les femmes SDF mais aussi à la région. Pour moi,ça reste un coup de communication à quelques mois des régionales ». Les élections se tiennent en mars prochain.

« Si d’ici la fin de cette année, l’opération est concluante, nous élargirons à l’ensemble des lycées pour un coût d’1 million d’euros », assure Valérie Pécresse.

* Les prénoms ont été modifiés

Les lycées qui seront équipés de distributeurs :

Paris : lycée Marie-Laurencin (Xe), lycée Armand-Carrel (XIXe), lycée Paul-Poiret (XIe), lycée Carnot (XVIIe)

Hauts-de-Seine : lycée Guy-de-Maupassant (Colombes)

Seine-Saint-Denis : lycée Nicolas-Joseph-Culot (Neuilly-sur-Marne), lycée Blaise-Pascal (Villemomble), lycée Maurice-Utrillo (Stains), lycée Jean-Renoir, lycée Léo-Lagrange (Bondy), lycée Auguste-Blanqui (Saint-Ouen), lycée d’Alembert (Aubervilliers), lycée Frédéric-Bartholdi (Saint-Denis), lycée Arthur-Rimbaud (La Courneuve), lycée Jean-Moulin (Le Blanc-Mesnil)

Val-de-Marne : lycée Gutenberg, lycée Saint-Exupéry – (Créteil), lycée Gabriel-Péri (Champigny-sur-Marne)

Essonne : lycée du Parc-des-Loges (Evry-Courcouronnes), lycée Jean-Isoard (Montgeron), lycée Nelson-Mandela (Etampes)

Yvelines : lycée Jean-Rostand (distributeur reçu et en cours d’installation) (Mantes-la-Jolie), lycée Le-Corbusier (Poissy), lycée Adrienne-Bolland (Poissy), lycée Henri-Matisse (Trappes), lycée Vaucanson (Les Mureaux), lycée Jules-Ferry (Conflans-Sainte-Honorine)

Val-d’Oise : lycée Edmond-Rostand (Saint-Ouen-l’Aumône), lycée Julie-Victoire-Daubié (Argenteuil)

Seine-et-Marne : lycée Charles-Baudelaire (Meaux), lycée Henri-Becquerel (Nangis)

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