Protections hygiéniques dans les établissements scolaires : où en est-on ?

Article de Marlène Thomas publié dans Libération le

La newsletter pour adolescentes féministes Les Petites Glo’ lance à l’occasion du 8 mars la campagne #StopPrécaritéMenstruelle afin de réclamer des distributeurs de protections hygiéniques bio et gratuites dans tous les collèges et lycées de France. Une initiative qui fait toujours figure d’exception.

«Il m’est arrivé plein de fois d’avoir mes règles à l’école et de ne pas avoir de serviettes avec moi. C’est stressant. Des fois, j’en demande à mes copines mais sinon j’essaie de mettre du papier toilette dans ma culotte avant de pouvoir rentrer chez moi. Mais j’ai peur que ça ne suffise pas, qu’il y ait des tâches. Ça m’est déjà arrivé et je n’étais pas bien», raconte Kaëna, 14 ans, élève de troisième. La solution d’en parler à un adulte de l’établissement est vite balayée par la jeune fille. «Je ne le fais jamais c’est trop gênant.» Ce qu’a vécu Kaëna est tristement banal dans la vie d’une femme. Dans ces conditions, difficile de se concentrer sur le théorème de Pythagore ou l’incipit de Lorenzaccio.

Face à ce constat, la newsletter pour ados féministes Les Petites Glo’ lance à l’occasion du 8 mars, le mouvement #StopPrécaritéMenstruelle. Une pétition adressée au ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, demande un accès libre et gratuit à des protections hygiéniques bio dans tous les collèges et lycées publics de France.

Une petite révolution qui coûterait au ministère, selon leurs calculs, 29 millions d’euros par an. Une infime partie du budget de 51,1 milliards dédié à l’enseignement scolaire du ministère de l’Education nationale. Rebecca Amsellem, directrice générale de Gloria Media (Les Glorieuses et Les Petites Glo) liste plusieurs enjeux : «Le premier est qu’il existe une inégalité économique des filles et des garçons à l’école du fait de ces protections hygiéniques. Notre sondage, réalisé auprès d’ados âgées de 12 à 19 ans, montre que 97% estiment qu’elles sont trop chères. Il y a là un double objectif : l’égalité des classes et des sexes.» L’ampleur des besoins apparaît dans une donnée : 8 personnes menstruées sur 10 se sont déjà trouvées sans protections hygiéniques à l’école alors qu’elles en avaient besoin. Et tout comme Kaëna, 7 ados sur 10 ne se sentent pas suffisamment à l’aise avec le personnel encadrant et éducatif pour demander de l’aide. L’idée serait donc d’installer des distributeurs automatiques dans les toilettes des filles par exemple.

«Les filles n’ont pas à avoir honte de leurs règles»

Selon le sondage, leurs règles ont déjà empêché 75,5% des sondées de faire du sport, 41% d’aller en cours et 53% d’entreprendre des activités sociales. Florence Fortuné, 24 ans, rédactrice en chef des Petites Glo raconte : «J’ai un souvenir assez traumatisant d’une fois où je n’ai pas pu aller au cours de natation au début du collège. J’ai été convoquée chez le chef d’établissement pour le justifier. Et ce grand monsieur blanc, cisgenre, hétérosexuel m’a dit du haut de son trône que sa fille à lui mettait des tampons et était nageuse, que je n’avais aucune excuse. J’ai eu une punition à cause de ça, c’était horrible.»

Rebecca Amsellem rebondit : «Le fait d’amener les règles dans l’espace public lance un message d’égalité, affirme que les filles n’ont pas à avoir honte de leurs règles. Plus on le met dans l’espace public, plus on va normaliser cette question-là.» Autre cible : l’enjeu sanitaire. Les Glorieuses réclament des protections hygiéniques bio. «C’est essentiel de proposer des produits transparents en termes de composition. Encore dernièrement, l’enquête de 66 millions de consommateurs a montré le nombre de substances indésirables qu’elles contiennent et dont on n’avait pas connaissance jusqu’à récemment», tonne Florence Fortuné. Comme une majorité de femmes, 82,5% des ados interrogées ne connaissent pas la composition de leurs serviettes ou tampons.

L’Ecosse pionnière

Le débat est récurrent, mais où en est-on aujourd’hui ? Les avancées sur ce sujet sont toujours au point mort dans la plupart des pays du monde. L’Ecosse fait figure d’exception. En août 2018, le gouvernement a ouvert la voie en annonçant la mise en place d’un programme destiné à fournir gratuitement des protections périodiques aux 395 000 élèves et étudiantes du pays. Un projet ambitieux qui leur coûtera 6,4 millions d’euros dans le but de lutter contre la précarité menstruelle et de permettre «aux étudiantes de se concentrer pleinement à leurs études». Selon une étude de l’organisation nationale caritative pour la jeunesse en Ecosse, Young Scot, 137 000 Britanniques manquent des cours chaque année car elles ne peuvent pas s’acheter ces produits.

A un niveau national, rien d’autre à déclarer. Avant l’Ecosse, quelques initiatives locales avaient toutefois essaimé. En mars 2016 Julissa Ferreras-Copeland, alors élue démocrate du conseil municipal de New York, a permis d’installer un distributeur gratuit de tampons et serviettes dans 25 établissements publics du Queens et du Bronx. Et la France dans tout ça ? Jusqu’à peu, ce genre d’action était bloquée au stade du débat. En juin 2017, les élus radicaux de gauche d’Ile-de-France avaient émis l’idée de suivre l’exemple new-yorkais en installant un distributeur gratuit dans tous les lycées franciliens. Valérie Pécresse, présidente de la région, avait alors déclaré comme le rapportait le Huffington Post : «Je ne suis pas du tout hostile à ce qu’on y réfléchisse.» Depuis, aucune nouvelle.

Paris passe à l’action

En parallèle de la campagne des Petites Glo’, la maire socialiste du Xarrondissement de Paris, Alexandra Cordebard, a pris la décision de proposer des protections gratuites et bio dans les cinq collèges de son arrondissement dès la rentrée prochaine. «Le nombre de collégiennes qui disent que leurs règles les ont dérangées pour aller à l’école, au sport, ou qu’elles ont dû rentrer chez elles souillées faute de matériel nécessaire, n’est pas normal. Et c’est aussi un handicap à la scolarité.» La maire poursuit : «On a aussi conscience que ça représente un coût financier important pour les familles et les jeunes elles-mêmes.»

La mairie a calculé que fournir la totalité du matériel à une jeune leur reviendrait au maximum à 90 euros par fille et par an. «C’est tout à fait abordable pour une ville. Je discuterai ensuite avec les principaux d’établissement et infirmières pour en fournir en fonction des besoins. Il est possible d’accorder une petite subvention supplémentaire de fonctionnement aux collèges avec qui nous fixerons une charte.» Ce projet a même été évoqué avec la maire de Paris : «J’en ai parlé à Anne Hidalgo qui était très partante, j’espère qu’on trouvera rapidement le moyen de généraliser», assure Alexandra Cordebard.

«Lançons la mode»

Un moyen aussi de décharger les infirmiers scolaires de ce poids. La maire du Xe lance : «Je ne sais pas si d’autres endroits ont fait une chose pareille, je n’en ai pas entendu parler. Lançons la mode ! Par contre, je suis convaincue qu’il y a énormément d’établissements où les infirmières scolaires donnent des coups de main aux jeunes filles. Par contre, j’ai vu des établissements ces dernières années où les toilettes n’étaient pas équipées de poubelles. Quand je posais la question : « comment font les jeunes filles ? » On me répondait : « elles vont à l’infirmerie ». Ça m’a révolté.»

Patricia Adam, secrétaire générale adjointe du Snies-Unsa, infirmière scolaire pendant trente-cinq ans en collège REP, abonde : «La plupart de nos collègues en ont. Des marques nous envoient des échantillons. Mais il ne faut pas que ça déresponsabilise les jeunes filles, ça doit rester un dépannage. On en laisse aussi aux surveillants quand on n’est pas là.» Elle précise : «On utilise notre budget infirmerie qui est variable. Il y a aussi des collègues qui peuvent personnellement dépanner la jeune fille et faire payer le prix de la protection.» Pour Patricia Adam, les distributeurs sont donc plutôt une bonne idée, mais ces derniers doivent s’associer «aux actions de prévention ou aux échanges individuels avec un personnel de santé». Un tel dispositif pose toutefois quelques questions : «A quel endroit on le met ? Qui fait la maintenance ? Qui s’occupe de le remplir ? Il faut un endroit discret sinon les filles n’iront pas les chercher. Quand elles viennent nous voir à l’infirmerie, elles sont déjà très gênées.»

Distribution gratuite

Marie Agnès, 18 ans, en première année de prépa dans un lycée regrette : «A l’infirmerie, les trois quarts du temps, soit ils n’en ont pas, soit on me dit « on peut pas vous en donner sinon les filles reviendraient tout le temps ». Mais ils se rendent bien compte que c’est déjà une assez humiliant de devoir aller les voir pour ça.» S’inspirant du mouvement écossais, l’université de Lille, via sa vice-présidente chargée de l’égalité femmes hommes, Sandrine Rousseau, a organisé deux distributions gratuites de protections hygiéniques pour ses étudiantes en janvier et en mars. 30 000 kits (deux paquets de serviettes/tampons ou une cup menstruelle) ont été mis à disposition. «Ils ont été distribués dans le hall des facultés. On l’a fait volontairement là-bas parce qu’on voulait que ça ne soit pas tabou. On est la première université de France à le faire», note Sandrine Rousseau. Elle poursuit : «Il y a beaucoup de précarité menstruelle chez les jeunes. Sur un budget étudiant, c’est énorme.»

L’université a financé via un marché public l’ensemble du dispositif, soit 59 000 euros. «Idéalement, j’aimerais que dans les toilettes pour femmes il y en ait en accès libre. D’ailleurs, j’ai vu que des restaurants autour de l’université en ont mis dans leurs toilettes à la suite de cette opération. C’est super car ça commence à se diffuser.» L’université a déjà pris contact avec de possibles partenaires (mutuelles, entreprises qui produisent des serviettes lavables) pour pérenniser la distribution. Sandrine Rousseau a aussi reçu nombre de demandes d’étudiantes souhaitant le mettre en place dans leur fac et qui ont sollicité leur direction. Dans cette même optique, depuis près d’un an la mutuelle LMDE, rembourse 20 à 25 euros par an aux étudiantes pour l’achat de leurs protections. La révolution avance pas à pas.

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